Nicolas Dalais : Une ville ne se crée pas sur un coup de tête

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Créer des projets qui ont du sens. C’est ce qu’exhorte Nicolas Dalais, qui a notamment contribué à faire sortir de terre le projet Cap Tamarin. Il livre son point de vue sur les chantiers qui devraient démarrer cette année.

On annonce d’importants chantiers dans le secteur public de 2017 à 201 9. Croyez-vous à cette grande période de construction ?

J’en suis même convaincu ! Nous sommes entrés dans une ère de développement réfléchie, où l’urbanisme commence enfin à prendre du sens. Je suis persuadé qu’en plus des Smart Cities, le projet de métro léger changera drastiquement le paysage urbain de l’île. Maintenant, la grande question qui se pose est la suivante : a-t-on toutes les ressources humaines, financières, et matérielles nécessaires pour mener à bien ce grand chantier ?

L’un des projets phares de cette grande période de construction sont les Smart Cities. Quel regard portez-vous sur ce type de développement ?

Je considère tout d’abord que l’expression Smart City n’est pas adaptée au contexte dans lequel nous l’utilisons. Au lieu de parler de Smart City, nous devrions plutôt faire
référence à l’aménagement global de Maurice, car nous devons considérer notre île comme une ville en elle-même. Je préfère donc parler d’éco-quartiers.

Le Smart City Scheme est pour moi une bonne initiative, car il met à la disposition des promoteurs des perspectives de développement différentes des morcellements ou lotissements (types IRS ou RES ). Nous entrons réellement dans le développement raisonné, avec une vraie réflexion sur la qualité de vie et sur les facteurs de temps et d’espace. Je trouve ce genre d’initiative de la part du gouvernement plutôt positif, même si j’estime qu’il manque définitivement une réflexion d’ensemble. Souvent, les projets ne sont pas a ssez bien connectés aux villes ou villages avoisinants, ou même au projetde métro léger. Il y a deux visions qui évoluent en parallèle. Il manque un lien entre le SCS et le projet de métro léger. Cependant, ces Smart Cities ou éco-quartiers offriront un produit immobilier réfléchi, qui proposera aux Mauriciens une qualité de vie
encore meilleure.

Cela ne risque-t-il pas de changer le paysage de l’immobilier à Maurice ?

Je pense qu’on a tout à y gagner. L’île Maurice a long temps été vendue comme une destination paradisiaque, avec ses villas de luxe. Mais d’ici quelques années, nous aurons beaucoup mieux à offrir. Ces projets attireront aussi, je l’espère, une population jeune - contrairement aux projets IRS qui visent une clientèle beaucoup plus aisée et donc plus âgée. Aujourd’hui, énormément de jeunes Mauriciens sont établis dans des pays plus urbanisés, offrant un autre style de vie, et je pense que ce genre de projet leur donnera envie de revenir au pays : la qua lité de vie que nous offrirons sera encore meilleure.

Pensez-vous que ces grands projets sont compatibles avec les enjeux environnementaux d’aujourd’hui ?

Il m’est très difficile de mettre tous ces projets dans le même panier. Je considère qu’il y a quelques projets qui sont valables et justifiés. Ce que je trouve le plus intéressant, c’est que la ty polog ie de développement urbain a évolué : nous sommes passés d’une typologie de morcellement - qui est un modèle de développement destiné à la voiture - à une typologie d’éco-quartier, qui est plus avantageuse aux niveaux social,
économique, environnemental et culturel.

De plus, ces projets prennent en compte le facteur temps : il deviendra plus avantageux d’habiter dans ce type de développement car chaque habitant y économisera sur sa consommation énergétique. Si le Smart City Scheme est respecté, nous aurons a lors de nouvelles villes autonomes en énergie, eau et gestion des déchets.

Mais il ne faut surtout pas oublierles villes existantes. A ce niveau, je pense que le gouvernement devrait mettre en place des dispositions afin que le secteur privé puisse y investir. Je suis convaincu que le métro léger permettra éga lement cette régénération urbaine.

Selon le BOI, le secteur immobilier est celui qui attire le plus d’IDE. Est-ce dangereux ?

J’aperçois le problème suivant : au regard des prix d’achat appliqués, on peut imaginer qu’une seule tranche d’âge continuera à investir à Maurice. Je pense là aux personnes ayant travaillé toute une vie pour s’offrir une belle propriété.

Je pense à l’inverse que notre pays a besoin de jeunes investisseurs,diplômés et entrepreneurs pour booster son activité économique. Si notre offre immobilière ne permet pas à cette catégorie d’étrangers d’investir à l’île Maurice, alors ce que nous faisons là est en effet dangereux : nous entrons dans une dynamique économique basée sur du court terme.

En tant qu’architecte, quels sont selon vous les challenges que doit relever une Smart city pour être un projet viable et durable ?

Déjà, une ville ne se crée pas sur un coup de tête ! Elle se construit à partir d’une histoire, d’une demande, et d’une a ctiv ité économique locale existantes. Le plus grand challenge est de proposer un espace dense mais arboré, afin de rompre avec la perception qu’une ville, c’est seulement du béton. Et ne l’oublions pas : il est enfin de compte plus écologique de vivre dans un centreville, avec toutes les commodités à proximité, plutôt que de vivre en pleine nature, mais de faire un long trajet quotidien en voiture pour rejoindre ces mêmes commodités.

C’est pour cela que des projets comme Cap Tamarin ont du sens. La région de Rivière-Noire est celle qui a connu la plus forte croissance démographique au cours des dix dernières années. C’est pour affronter cette croissance que des morcellements ont germé le long des côtes sans véritable plan d’aménagement. En tant qu’urbanistes sur le projet de Cap Tamarin, nous avons tenté de produire un plan d’aménagement durable et je suis convaincu que nous avons mené cette mission à bien. C’est un projet pertinent de par ses objectifs et sa taille humaine.

Source : LexpressProperty Mag No 40